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Dossier Cyberpunk 2/3 : l’économie numérique, entre ultra libéralisme et techno féodalité

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13 mars 2023

Dans le cadre du M42 : Utopie et Dystopie, et tout particulièrement de l’article de Julien Djoubri traitant de l’histoire du cyberpunk, nous vous proposons un dossier spécial sur le sujet. Trois articles pour trois piliers thématiques du cyberpunk.

Deus Ex - Human Revolution

 

Vous avez déjà pu découvrir le premier thème récurrent quand on se penche sur le genre cyberpunk : le transhumanisme. Et si vous ne l’avais pas encore lu, on vous invite à aller le parcourir.

 

 

Cette semaine, Julien Djoubri vous propose d’en apprendre un peu plus sur un autre thème incontournable de l’esthétique cyberpunk : l’économie numérique, vue au double prisme de l’aspect financier de l’univers décrit (bien souvent un marché capitaliste très poussé) et du monopole des industries technologiques. Le numérique est  au cœur du cyberpunk.

L’économie numérique : la voie du progrès ?

Depuis plusieurs années, de nombreux ouvrages ou documentaires ont pu mettre en lumière les craintes liées à l’essor de l’économie numérique : les grandes entreprises du numérique – communément appelées GAFAM pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – sont régulièrement accusées d’abus de position dominante ; les algorithmes développés par ces firmes sont souvent considérés comme une consigne à la vie privée des consommateurs, comme en témoigne le scandale autour de Facebook et de la société Cambridge Analytica qui a éclaté en 2018 et qui aurait joué un rôle central dans le référendum sur le Brexit. 

GAFAM

Dans son dernier ouvrage, Techno-féodalisme, critique de l’économie numérique, Cédric Durand s’intéresse aux causes et aux conséquences des transformations induites par l’essor de l’économie numérique. Le livre s’ouvre sur le récit d’une arrestation dans les années 1980 : celle du concepteur d’un jeu d’anticipation Cyberpunk dans lequel les entreprises seraient devenues plus puissantes que l’État et dans lequel les individus seraient totalement dépendants de ces entreprises. Deux caractéristiques qui renvoient à ce que l’auteur appelle l’hypothèse techno-féodale.

D’où la question de l’auteur : et si cette fiction était progressivement devenue réalité quelques décennies plus tard ? D’une part, les entreprises numériques – initialement de simples start-ups très innovantes – ont réussi à devenir progressivement des géants, ce qui leur permet de générer des rentes de monopole. D’autre part, les plateformes numériques, en développant des algorithmes de plus en plus sophistiqués, ont contribué à orienter, voire à prédire, les choix des individus, créant une relation de dépendance (tant du côté des consommateurs que des producteurs) s’apparentant à une nouvelle forme de féodalisme. C’est la thèse principale développée par Cédric Durand. 

Interdépendance et monopole

Selon l’auteur, l’économie numérique, en raison des deux caractéristiques essentielles décrites ci-dessus, ressemble à un nouveau type de féodalisme, en référence à l’un des modes de production identifiés par Marx. Dans ce mode de production, les seigneurs féodaux, en tant que propriétaires fonciers, captent une rente monopolistique liée à la terre.

Les travailleurs ne sont pas libres, mais sont néanmoins indépendants. Enfin, l’extraction du surplus n’est pas consubstantielle à la production. En ce sens, le féodalisme se distingue des autres modes de production, l’esclavage et le capitalisme. 

Techno féodalisme : Critique de l'économie numérique

D’une part, les entreprises numériques – comme les seigneurs féodaux – se caractérisent par leur capacité à extraire une rente grâce aux économies d’échelle et aux complémentarités des réseaux. Comme le souligne l’auteur, « la référence au féodalisme renvoie au caractère rentier, c’est-à-dire non productif, du mécanisme de captation de la valeur » (p. 221).

D’autre part, l’économie numérique a la particularité de créer une relation de dépendance, tant pour les consommateurs que pour les producteurs, pour lesquels il peut être difficile de s’extraire des plateformes numériques, au risque d’être marginalisés socialement pour les premiers ou exclus du marché pour les seconds. D’où l’analogie avec l’organisation féodale : « cette situation de dépendance des sujets subalternes vis-à-vis de la glèbe numérique est essentielle, car elle détermine la capacité des dominants à capter le surplus économique ». 

Pour aller plus loin

Voici donc le deuxième thème abordé par les récits cyberpunks selon Julien Djoubri. Après le transhumanisme – une relation de dépendance de l’Homme à la technologie pour tout ce qui touche au corps – c’est au tour de l’économie de faire naître des relations d’interdépendance. Entre grandes firmes, souvent monopolistiques, et consommateurs, un rapport de domination s’installe. Car s’il suffirait que les consommateurs cessent d’acheter ou d’utiliser les services ou produits proposés par ces entreprises pour qu’elles cessent d’exister, la situation économique, sociale et politique ne laissent souvent que peu d’alternatives aux consommateurs, si ce n’est aucune.

C’est ainsi que se crée cette hégémonie des firmes géantes, et qu’advient le temps de l’économie numérique toute puissante et de la techno féodalité. De quoi réfléchir sur notre propre réalité, n’est-ce pas ?

Dans le prochain, et dernier, article consacré au cyberpunk, Julien Djoubri approfondira ce sujet en apportant une analyse sociale et technologique de notre société.

Couverture M42-3Et si le sujet du cyberpunk vous plait, vous pouvez retrouver toute son histoire, d’hier à demain, dans le M42 : Utopie et Dystopie, toujours disponible en précommande, avant sa parution lors de l’Angers Geekfest les 1er et 2 avril 2023. Et avec Geek-Art et Thomas Olivri, Julien Djoubri nous présente aussi le projet KIN – Mycocene, un artbook biopunk porté, entre autres, par Antoine Perrin, qui témoigne dans nos pages.

L’ouvrage abordera aussi plus largement, entre autres, les thématiques de la technologie et de l’environnement au sens large. Vous pouvez retrouver l’ensemble du sommaire ici.

 

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