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Road to M42-3 : habillez les dystopies avec Soline Anthore Baptiste

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4 novembre 2022

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Elle fait partie de nos auteurs incontournables dans le M42, puisqu’elle a participé aux trois volumes. Soline Anthore Baptiste est historienne de formation, et geek de cœur. Présente avec Nicolas Baptiste sur les événements Angers Geekfest et Bordeaux Geekfest, elle nous fait revisiter l’histoire autrement, notamment par le biais des films, des séries ou des romans. Après tout, fiction et réalité s’inspirent sans cesse l’une et l’autre !

Dans ce troisième volume dédié aux Utopie et Dystopies, Soline Anthore Baptiste s’interroge sur la manière dont les œuvres de fiction, et notamment les films et les séries, habillent les dystopies. Quels costumes, et que disent-ils de l’univers dans lequel ils prennent place ?

Découvrez-en plus avec cette interview exclusive.

Et si elle vous plait, on se donne rendez-vous sur notre page Ulule pour en découvrir plus sur ce troisième opus du M42 !

Soline Anthore Baptiste

  • Soline, tu es aujourd’hui historienne de formation, avec un attrait tout particulier pour la mode et les costumes. Comment t’est venu ce goût de l’histoire et notamment de l’apparence ?

Je me suis en réalité d’abord intéressée à la littérature : avant l’histoire, ce sont LES histoires qui m’ont passionnée, à tel point que j’ai commencé à les étudier. Mais j’ai ensuite réalisé que pour comprendre une œuvre littéraire, il faut connaître le contexte dans lequel elle a été écrite, en quelque sorte pour comprendre une histoire, il faut comprendre l’histoire qui l’a nourrie. Ça c’est pour l’histoire.

Pour ce qui est de la mode et des costumes, disons que cela a été une manière pour moi de m’approcher des gens qui ont habité le passé, des corps qui ont parcouru le temps. Le vêtement et l’apparence, c’est à la fois un ressenti personnel et un discours tourné vers les autres !

  • En tant qu’historienne, les faits d’hier n’ont plus aucun secret pour toi. Est-ce que, comme le dit le dicton populaire, une bonne connaissance du passé nous permet de mieux comprendre notre présent, et surtout, d’anticiper l’avenir ?

1984Je ne dirais même pas que les faits d’aujourd’hui n’ont aucun secret pour moi, alors je me garderais bien de le dire pour hier ! Mais oui, connaître le passé peut permettre de comprendre le présent. Quant à anticiper l’avenir, sûrement : il suffit de reprendre le contenu des romans d’anticipation tels que 1984, Le Meilleur des Mondes ou encore Ravage en regard de notre époque… Parfois, n’a-t-on pas actuellement l’impression d’être en plein glissement vers un ou plusieurs de ces scénarios ?

 

 

 

 

 

  • Pour la troisième édition consécutive, tu écris pour l’encyclopédie M42. Ici, tu as choisi de t’intéresser à la manière d’habiller les dystopies. Pourquoi ce choix spécifique des dystopies ?

Les œuvres appartenant au genre de la dystopie sont souvent des anticipations qui se focalisent sur des dérives de la politique (souvent totalitaire) et de la société pour en exposer les conséquences. Dans la mesure où le costume est un discours, j’ai immédiatement trouvé intéressant d’étudier la manière dont les propos de telles œuvres vont être traduits en vêtements dans ce cadre.

  • Tu peux nous en dire un peu plus sur ton article ?

Je vais m’éloigner un peu de la littérature pour m’intéresser à la matérialité des costumes dans les films et les séries, au travers d’exemples choisis, tels qu’Altered Carbon, Blade Runner, Equilibrium, Hunger Games, La Servante Écarlate (liste non exhaustive). L’idée est de montrer la manière dont le design des costumes doit permettre aux spectateurs de comprendre immédiatement dans quel univers l’histoire va se dérouler, mais aussi comment la façon d’habiller les différents personnages va également permettre de caractériser leur personnalité et leur rôle dans le drame en action. Et on le verra, la mode dans les dystopies, c’est un peu un « retour vers le futur » inversé : un bond en avant dans le passé, qui donne naissance à un avenir à la fois familier et nouveau !

Hunger Games

  • On imagine que les inspirations pour les costumes sortent rarement de nulle part. Dans le fond, les habits dystopiques sont-ils les costumes d’hier ?

Les designers en charge de concevoir la culture matérielle d’une œuvre de fiction audiovisuelle s’inspirent nécessairement de ce qu’ils connaissent, et donc de ce que la majorité des spectateurs saura reconnaître. C’est une manière d’ancrer la fiction dans une réalité crédible. Mais il ne faut pas oublier la part de créativité dans ce métier : ils ne font pas une œuvre d’histoire, mais ils en jouent et c’est justement cela qu’il me plaît de décrypter.

  • As-tu remarqué une évolution dans la manière de représenter les dystopies dans la pop culture, tout particulièrement au cinéma ?

C’est amusant car lorsqu’on s’intéresse au genre dystopique à l’écran sous l’angle des costumes, on remarque rapidement que, depuis des dizaines d’années, les mêmes poncifs tendent à revenir sans cesse, par exemple le lissage social (formes et couleurs), des marqueurs de classes et/ou de rôle forts, la prédominance des uniformes, des coiffures et des coupes « vintage », etc. Plus qu’une évolution, c’est selon moi une permanence : ce sont justement des codes qui vont permettre au spectateur de comprendre rapidement face à quel type d’univers il se retrouve.

  • Aujourd’hui, y a-t-il un style qui semble se dégager dans notre manière de nous représenter le futur dystopique ? Et si oui, qu’est-ce que cela dit de notre rapport à l’avenir ?

Ce n’est pas tant de notre rapport à l’avenir que nous parle la dystopie. En évoquant une fiction d’un temps qui pourrait être, la dystopie nous parle de notre actualité, c’est indéniable. Si les premières dystopie (fin XIXe – début XXe) évoquaient les révolutions industrielles et les inégalités sociales ; et si entre 1917 et 1950, les dystopies parlent de totalitarisme et de civilisation de masse, elles illustrent aujourd’hui des scénarios catastrophistes liés au nucléaire, aux technologies, à la surpopulation et à l’écologie.

Deux considérations m’amusent sur la question. D’une part, le sociologue Norbert Elias soulignait que, paradoxalement ou pas, plus une époque vit une réalité barbare et indésirable, plus elle produit des utopies littéraires, et à l’inverse, plus la vie est sûre et civilisée, plus on représente des imaginaires angoissants et barbares. D’autre part Jean-Paul Engelibert montre comment la multiplication des dystopie actuelles est à mettre en lien avec une pensée catastrophiste liée à l’anthropocène et la capacité de l’homme à détruire le système terrestre… La fiction dystopique a de quoi faire réfléchir sur la réalité de notre époque !

  • Un des enjeux les plus importants de notre époque est la question climatique et environnementale. Est-ce que les dystopies s’emparent de ce sujet, et avec elles, la mode vestimentaire ?

Soleil Vert

Cela fait déjà plusieurs dizaines d’années que les dystopies évoquent une future crise climatique. Un film tel que Soleil Vert, réalisé en 1973 par Richard Fleischer d’après un roman de Harry Harrisson publié en 1968, nous fait d’ailleurs un joli pied de nez en la matière : on y voit la terre en proie au réchauffement planétaire dû aux émissions de gaz à effet de serre, la mort des océans, et l’épuisement des ressources naturelles. Et devinez à quelle date le réalisateur situe l’action… ? L’année 2022 !

Mais bien sûr, dès que les histoires mettent en scène des questions environnementales, oui, c’est l’occasion pour les designers de créer une mode vestimentaire adaptée, comme dans Waterworld ou The Snowpiercer.

 

 

 

  • Si tu devais nous conseiller une œuvre utopique et une œuvre dystopique, que nous conseillerais-tu ?

En termes d’utopie, je citerai Avatar, un film qui me touche toujours autant à chaque fois que je le vois. Ce film nous propose d’ailleurs justement de choisir entre une société dystopique basée sur le posthumanisme, et une utopie environnementaliste. Je sais que du temps est passé et qu’aujourd’hui certains remettent en cause le schéma porté par James Cameron, mais il n’en reste pas moins pour moi l’image d’une utopie parfaite : celle de l’équilibre et d’une communion au sein du vivant.

Pour la dystopie, je vais quitter les écrans pour revenir à mes premières amours : la littérature. Et puisque l’on est dans les questions climatiques, j’avoue que je me suis laissé emporter par un des romans d’Aurélie Wellenstein, intitulé Mers mortes, une dystopie postapocalyptique dans laquelle l’eau s’est évaporée, tous les animaux marins sont morts et des marées fantômes déferlent sur le monde. Un monde qui pourrait sonner tel une prophétie si l’on considère les évolutions météorologiques, et que l’autrice elle-même avoue ne pas vouloir voir se réaliser !

  • Pour finir : une raison de lire ton article dans le prochain M42 ?

Parce que suivant la formule « dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai qui tu es », le costume est un angle d’approche passionnant pour analyser les films et séries dont on est fan ! Et pour comprendre par exemple pourquoi Miriam Bancroft aime tant s’habiller en blanc, ou pourquoi les Droogies d’Orange Mécanique portent leur slip au-dessus de leur combinaison ?

M42 : Utopie et Dystopie

Et voilà ! Vous en savez désormais un peu plus sur Soline Anthore Baptiste et sur son prochain article dans le M42 : Utopie et Dystopie.

Rendez-vous sur Ulule pour en découvrir plus du livre !

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