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Road to BGF – Cyrille, Festina lente

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17 juin 2020

Road to BGF Virtual Experience – J-11

15 jours avant l’événement 100% virtuel et tant attendu du BGF Virtual Experience, l’équipe du CAD a voulu se pencher sur les femmes et les hommes qui contribuent, incarnent, soutiennent et font vivre la pop culture au quotidien.
Bénévoles, partenaires, invités…ils vont pouvoir se livrer dès maintenant sur un format court, intimiste, à la fois profond et léger sur le BGF Virtual Experience, la thématique des années 90 et plus si affinités !
Action !

Bonjour Cyrille !

Qui es-tu ?

Je m’appelle Cyrille ABONNEL, et je suis en charge de l’innovation collaborative et du numérique au sein de la direction régionale Aquitaine Nord d’Enedis. Enedis est une entreprise de service public, gestionnaire du réseau de distribution d’électricité qui développe, exploite, modernise le réseau électrique et gère les données associées. Indépendante des fournisseurs d’énergie chargés de la vente et de la gestion du contrat d’électricité, Enedis réalise les raccordements, le dépannage, le relevé des compteurs et toutes interventions techniques

Nos équipes Innovation collaborative, Numérique et Ingénierie Territoriale d’Enedis sont basées à la Cité numérique de Bordeaux Métropole. Au-delà du voisinage physique avec certaines d’entre elles, Enedis est surtout partenaire de la pépinière UNITEC (éclaireurs et animateurs de l’innovation depuis 30 ans, comme vient de l’illustrer encore Laurent-Pierre Gilliard sur notre « attention au travail face aux visioconférences et autres espaces virtuels »), de la French Tech Bordeaux, de Digital Aquitaine sur l’IA et la Data, et aussi de la technopole Bordeaux Technowest sur le secteur des drones, structures importantes pour le dynamisme de l’écosystème entrepreneurial bordelais et néo-aquitain.

C’est dans ce cadre collaboratif que nous avons fondé en 2017 avec Christophe BOUNEAU, Professeur d’histoire économique contemporaine à l’Université Bordeaux Montaigne, la première chaire de recherche de cette honorable institution de sciences humaines et sociales qui a fêté ses 50 ans l’an dernier. Cette chaire, créée grâce au mécénat fondateur d’Enedis et hébergée par la fondation Bordeaux Université, nous l’avons baptisée « chaire RESET – Réseaux électriques et Société(s) en Transition(s) », pour repenser le rôle des réseaux dans la transition énergétique au service (public) de la société et des citoyens.

Christophe BOUNEAU est le titulaire scientifique de la chaire RESET, et nous la coordonnons ensemble, avec le concours d’étudiants-chercheurs engagés autant dans son animation et son développement que dans ses travaux de recherches. En trois ans, la Chaire RESET est devenue une magnifique équipe transdisciplinaire d’une douzaine de chercheurs, étudiants en master, en doctorat, ou jeunes diplômés, en histoire, sociologie, économie, médiation des sciences ou encore humanités et stratégie digitales.

Depuis sa création, ce sont plus de 20 étudiants qui auront complété leur professionnalisation par une ou des missions de recherche-action animées par la chaire RESET. Quelques exemples : mémoire de recherche lauréat de la bourse de la chaire RESET sur l’archéologie de la transition énergétique (pour partir sur de bonnes base) ; étude de l’autoconsommation collective d’électricité en partenariat avec le bailleur social Gironde Habitat puis avec le Labo de l’ESS ; étude des politiques d’aide à la pierre et de lutte contre la précarité énergétique en partenariat avec le Conseil départemental de Dordogne ; observation participante à la concertation préalable menée par RTE avec Enedis sur le futur « S3RENR » de la Région Nouvelle Aquitaine.

Je suis donc très heureux qu’Enedis et la chaire RESET soient « partenaires pionniers » de ce premier GEEKFEST VIRTUEL que vous avez magnifiquement fait renaître tel le Phoenix en 42 jours, y compris pour le faire découvrir à mes trois filles (#girlpower), depuis notre vieux moulin à huile de noix du Périgord, dans ce beau pays gaillard de la Vallée de la Dordogne en corrézienne (c’est encore une autre vie… contée).

La culture geek dans ton enfance, c’est quoi et comment ?

En suivant McLUHAN sur l’importance des médias par lesquels passent les messages (voir la question « échange sur l’impact tech » grâce au Club Arthur Dent), je distingue deux périodes dans mon enfance :

  • entre 3 et 9 ans, soit entre 1978 et 1984, j’ai grandi dans des pays africains, sans connaitre la télévision. Mes parents avaient fait le choix d’autres supports culturels : des livres (ma mère était professeur de français), la radio, un lecteur de cassettes, et de temps en temps, des dessins animés et des films au cinéma, avec un parfum de Cinéma Paradiso.
  • En 1984, à 10 ans, retour en France et découverte de la télévision. Mes parents ont tenu à rentrer en France pour que ma sœur et moi puissions bénéficier de la qualité de l’enseignement public.

Les œuvres geek maintenant qui m’ont marqué cette enfance et contribué à forger les valeurs et les imaginaires qui sont les miens :

  • Après avoir vu au cinéma La guerre des étoiles quelques années après sa sortie en 1977 (j’avais 2 ans cette année-là), j’ai comme beaucoup de garçons de l’époque joué avec ses robots R2D2 et Z-6PO (eh oui, je l’ai vu en VF !).
  • Dans le registre des super-héros auxquels s’assimiler, sans forcément avoir compris à l’époque qu’il s’agissait d’adaptation d’œuvres japonaises : les 5 jeunes « super-doués » de la Force G dans La bataille des planètes, l’incontournable Albator dans Les héros de l’espace, ou encore l’orphelin Actarus aux commandes du robot Goldorak pour lutter contre les méchants de l’Empire Vega.
  • Autre orphelin qui m’a probablement plus profondément marqué pour avoir été touché « dans sa tête » : L’orphelin de Perdide dans Les Maitres du Temps, de Stefan Wul, avec un souvenir très précis de la voix de François Chaumette décrivant la plaque métallique que l’on voyait sous la casquette de Siblad devenu vieux, vissée dans son crâne pour réparer une terrible agression par des frelons de Perdide durant sa jeunesse ! Je ne m’étais pas questionné à l’époque sur la nationalité de l’auteur, ni sur le chainage finalement entre l’œuvre écrite de Stefan Wul, son adaptation en dessin animé dont je n’ai « pratiqué » que les éléments sonores, avec les pochettes des cassettes que j’ai toujours (voir photo).

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Imaginaires disais-je. Mon irrésistible envie d’aller vivre mes premières années professionnelles en Asie viennent peut-être de ces histoires de super-héros japonais, croisées avec mes lectures impressionnées par d’autres écrivains voyageurs dans des pays physiques et ou imaginaires, comme Nicolas BOUVIER et son Usage du monde, mais aussi un autre homme multiple qui ne m’a plus quitté, pas souvent associé – à ma connaissance spontanément à la pop culture : Victor SEGALEN, médecin explorateur de synesthésies, écrivain voyageur, archéologue et poète, de la Bretagne au Pacifique, en Chine… Je l’ai découvert d’abord médecin à Tahiti sur les traces de Paul Gauguin et auteur d’un émouvant ouvrage Les Immémoriaux, puis j’ai suivi le sinologue, à pied, retrouvant d’incroyables Stèles… et la boucle fût bouclée en arrivant en 2011 à Bordeaux : je le retrouvais patronyme de la faculté de médecine de l’université.

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Cette curieuse pesanteur nostalgique ressentie à la lecture des Immémoriaux, j’ai réussi à mieux la comprendre en découvrant, à mon retour en France au début des années 2000, l’œuvre inclassable d’un autre écrivain universel, d’origine portugaise : Fernando PESSOA, et ses multiples hétéronymes, auteur notamment du Livre de l’intranquillité. Magnifique connaisseur de ses œuvres, l’écrivain italien Antonio TABBUCHI a le sens de la formule pour nous faire comprendre que les explorations intranquilles de PESSOA sont fantastiquement geek : « Pessoa est un génie parce qu’il a compris l’envers des choses, du réel et de l’imaginé, sa poésie est un jeu de rêves ». « La nostalgie du possible ou la fiction de la réalité » est le titre d’une conférence introductive à l’œuvre de cet écrivain inventeur de l’hétéronymie littéraire que TABBUCHI donna en 1994. Tout un programme en effet.

Partenaires pionniers du BGF Virtual Experience, Enedis et la Chaire RESET accompagnent le Geekfest depuis plusieurs années, pourquoi ce soutien ?

En 1987, le Professeur d’histoire François CARON, fin connaisseur de l’histoire de l’électricité en particulier et de La dynamique de l’innovation avec ses implications de changements technique et social du XVIe au XXe siècle, synthétisait les débats du colloque « L’électricité et ses consommateurs » de l’Association pour l’Histoire de l’électricité en France en trois thèmes indissociables : (i) les utopies nécessaires ; (ii) la « construction de la demande » réelle ; et (iii) les contraintes de l’exploitation (CARON, 1987).

Concentrons notre attention sur la formule « utopies nécessaires », aussi énigmatique que précieuse. C’est l’un des axes de force intangible de la recherche menée par la chaire RESET. Elle est au cœur de ces valeurs qui nous animent et nous rassemblent dans le Club Arthur Dent, selon une approche ‘adisciplinaire’ aime dire Christophe BOUNEAU, tandis que j’ai un faible provocant pour ‘indisciplinaire’ telle que revendiqué par Laurent Loty (distinct d’indiscipliné).

Cette posture d’observation apprenante me semble très stimulante : « je ne suis pas un critique, je suis un étudiant, rien qu’un étudiant » répond Marshall McLUHAN à Pierre SCHAEFFER en janvier 1973 lors d’un débat. Posture ? Probablement, en tout cas à prendre au sérieux quand on sait l’immense impact des foisonnants travaux de McLUHAN, qu’il s’agisse de La Galaxie Gutenberg (la fabrique de l’homme typographique), parue en 1962, où il analyse « la combinaison inédite de l’image et de l’électricité qui nous précipite dans un ‘village global’, condamnant à tout jamais l’homme typographique patiemment formé par l’écriture alphabétique et l’imprimé » ; « Le médium est le message », formulé dans Pour comprendre les médias (les extensions de l’homme). Et c’est bien l’élégance de cette « distanciation étudiante », cette soif d’apprendre et de comprendre qui nous rassemble depuis le début dans le Club Arthur Dent, think tank à vocation do tank !

Que penses-tu de cette initiative : proposer le premier festival pop culture d’Europe en 100% virtuel ?

Lorsque tu me l’as proposée Damien – à 42 jours de sa tenue, retiendra la légende… – je n’ai pas mis longtemps à percevoir cette initiative comme magnifiquement « sérendipitaire » ! Beaucoup de fausses idées circulent sur la sérendipité depuis que le web s’en est emparé, et après avoir lu le livre-enquête de Sylvie CATELLIN, Sérendipité – du conte au concept, devenu une référence, j’ai retenu la mise en exergue de ce qu’écrit Edgar MORIN dans La Méthode (tome 3, 1986) : « le concept de sérendipité intéresse, à plus d’un titre, la pensée complexe, par le fait qu’il met en relief le caractère créatif et génératif de l’aléatoire, de l’événement, de l’imprévu, de l’inattendu. On peut l’intégrer dans la catégorie des qualité intelligentes, comme l’« auto-hétéro-didactisme », ou l’aptitude « sherlock-holmésienne ».

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Première discussion sur la plateforme.

Si nous avions pris le temps de dramatiser notre échange (nous n’avions le temps ni l’un ni l’autre), il aurait pu être dans le style de Sherlock Holmes… Imaginons l’espace d’un instant :

  • Comment résoudre, en 42 jours, l’énigme de la résurrection, fût-elle virtuelle, du GEEKFEST ? (réflexion…)
  • Elémentaire ! Voilà comment nous allons procéder : en trois étapes, en se hâtant lentement comme dit l’adage…
Sherlock Holmes et le docteur Watson

« Sherlock Holmes et le docteur Watson » –         illustration parue en 1892 dans le recueil de   nouvelles « Les mémoires de Sherlock Holmes ».

 

  1. «Nécessité mère d’industrie » écrivait Jonathan SWIFT dans Les Voyages (extraordinaires) de Gulliver en 1721 ! Une belle occasion de revenir au sens premier d’industrie d’ailleurs, grâce à cette œuvre geek avant l’heure. Tu l’as très bien expliqué dans tes récents posts : les valeurs et la solidarité que nous partageons, la responsabilité face aux attentes des fans et le besoin d’explorer de l’intérieur les moteurs de la société, pour continuer de contribuer… à notre échelle de lilliputiens. Se réinventer plutôt que mourir : partenaire ou pas ?

  1. Jacques a DI.. LEX GO ! DILEX ? Oui, pour Digital Learning Expedition, l’un des nouveaux mantras de la transformation numérique pour beaucoup d’entreprises ces dernières années, à l’image du Groupe EDF, auquel appartient Enedis. Et au sein d’Enedis, j’ai des collègues très dynamiques qui ont initié depuis 2018 une communauté « réalité immersive / virtuelle / augmentée » : ils partagent la veille, les expérimentations… Nous sommes ainsi attentifs au Laval Virtual depuis plusieurs années, dont l’édition spéciale de cette année. Et plus profondément, nous avons bien sûr compris que c’était notre vie.
  1. L’attention fait le larron ! Oui, j’ai détourné l’expression initiale, et vous allez comprendre que ce n’est pas seulement pour le jeu des consonances. Touchée par la crise, Enedis a su revenir à ses fondamentaux pour assurer sa mission de service public pour la France et les français, et continue de le faire ! En parallèle, quelques dirigeants m’ont fait confiance pour « saisir l’occasion » plutôt que d’être uniquement saisis par les circonstances en les subissant : qu’ils en soient remerciés ! En phase avec la magnétique métropole de Bordeaux et quelques autres pionniers comme Laurent-Pierre Gilliard d’UNITEC, conscients que l’impact de la crise serait aussi organisationnel, nous avons considéré qu’il fallait assumer cet apprentissage par l’action, avec une attention particulière… à l’attention justement ! Chez Enedis, la tension, c’est notre métier depuis des décennies !

L’heure est venue de croiser la tension et l’attention, dont l’économie et l’écologie ont été magnifiquement travaillées depuis plusieurs années en sciences humaines et sociales. Cela s’avère un concept très opératoire pour naviguer entre les différentes activités qu’un individu, quel que soit son âge, mène, à titre privé ou professionnel, dans un monde physique, virtuel, hybride… J’ai entamé des recherches à ce sujet en lien avec la chaire RESET : rendez-vous « sur le terrain » !

Ce premier festival pop culture d’Europe en 100% virtuel sera une magnifique exploration collective, à l’image de ce que vous, avec des compagnons de route fidèles, avez toujours su proposer depuis des années !

 

La thématique sur les années 90, ça t’inspire ?

Forcément ! Les années 90 pour moi, ce sont les années de lycéen tranquille en province près de Grenoble, puis d’étudiant-soldat à Grenoble durant la préparation aux écoles d’ingénieur, pour vivre de belles années à découvrir le Sud-Ouest en étudiant à Toulouse, avant de pouvoir enfin découvrir l’Asie en vrai, dans le temps long d’un service scientifique à l’ambassade de France au Vietnam : heureux premiers pas dans la vie dite professionnelle…

Une vie d’aventures (c’est comme ça que je me le figurais) qui m’ont paradoxalement fait passer par exemple à côté du phénomène MATRIX que j’ai découvert plusieurs années plus tard, car je n’avais la télévision (de nouveau) et j’étais trop occupé à vivre pleinement ma découverte du continent asiatique, depuis ma « base vietnamienne » de Hanoi : Japon, Indonésie, Chine, Corée…

Je suis rentré en France en 2001, pour bifurquer sur la recherche sur les énergies marines au centre de recherche d’EDF : mes premiers pas dans le monde de l’énergie, concrétisant mes fantasmes de jeune ingénieur qui allait contribuer à domestiquer les puissantes forces de l’océan ou des marées et rejoindre ces costauds « racleurs d’océan » si bien décrits par Anita Conti. Une période de rebond dans l’histoire française de l’innovation en énergies marines renouvelables, finalement déceptive sur le plan politique comme l’a très bien analysé le docteur en sciences économiques Sylvain Roche dans sa thèse « Réenchanter le maritime par la promesse énergétique : technologies, trajectoires, discours » .

Pour revenir à la construction de mon identité culturelle durant ces années 90, j’ai découvert Italo CALVINO en teminale en 1992, par son œuvre Si par une nuit d’hiver un voyageur. Sa structure narrative m’a fasciné, et je suis allé de découverte en découverte, jusqu’à en faire ma référence geek, que je partage un peu plus loin.

En termes de films, j’ai beaucoup été influencé par Le Cercle des poètes disparus et l’invitation bienveillante à la pratique du « Carpe diem » par le professeur Keatings (incarné par Robin Williams) ou encore dans un autre genre moins feutré pour ne pas dire franchement déjanté par Pulp Fiction de Quentin TARANTINO ! Ça me fait rire d’imaginer le sémillant Vincent Vega, personnage incarné par John Travolta, écoutant poliment le professeur Keatings l’encourager à profiter de la vie…

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Gandalf ou Voldemort ?

Gandalf ! Peut-être une question de génération ? Pas sûr, je dirai plutôt une question de « sensibilité » (voir l’usage de ce terme par Roland BARTHES à propos d’Italo CALVINO ma « référence geek »).

J’ai toujours été fasciné par la capacité d’auteurs comme JRR TOLKIEN ou JK ROWLING à créer des mondes. Je suis particulièrement sensible à l’immense travail sur la langue qu’a effectué Tolkien : sans être ni connaisseur ni locuteur des langues elfiques, je trouve magique que le BGF permette d’écouter des spécialistes des langues elfiques !

Un autre spécialiste, orfèvre en cette matière à penser qu’est la langue, en parle aussi bien qu’il la travaille : c’est Alain DAMASIO et je vous invite à l’écouter à propos du langage, notamment dans cette interview sur France Culture en 2018. Malgré le caractère dystopique de la réalité des sujets qu’il traite – c’est un écrivain engagé qui « décrypte le présent », il dégage un plaisir communicatif à expliquer sa « méthodologie » de création d’univers en des termes somptueux à propos de son expérience de co-création du jeu vidéo Remember Me.

Cyrille-JRR TOLKIEN

Le plaisir est pour moi tout aussi vif à me laisser galvaniser par des écrivains créateurs de mondes, qu’à sentir l’énergie collective des festivaliers du BGF ou d’ANIMASIA, ou encore à découvrir des travaux qui prennent du recul sur la pop culture et ses fans. Cette « culture participative », Mélanie BOURDAA l’observe et l’enseigne à l’Institut des Sciences de l’Information et de la Communication (ISIC) de l’Université Bordeaux Montaigne, et elle m’a permis de découvrir le travail séminal d’Henry Jenkins qui poursuit, comme vous avec vos festivals pop culture, un travail fondamental à mes yeux d’exploration des défis à relever pour une éducation populaire qui se doit au 21e siècle d’intégrer une éducation aux médias.

Plusieurs sujets te tiennent à cœur pour cet événement dont la sobriété et l’identité numérique, tu peux nous en dire plus stp ?

Je viens de dire combien l’éducation aux médias est importante pour moi aujourd’hui, et la sobriété et l’identité numérique en font complètement partie ! Je m’explique. Vous avez choisi pour ce BGF Virtual Experience de célébrer les années 90 : excellent ! Outre la célébration émotionnelle partagée du retour sur les chefs d’œuvre créés à ce moment-là, ce qui m’intéresse avec le Club Arthur Dent by Enedis, c’est de partager aussi le fait que, pour moi, c’est une période euphorique sur les promesses technologiques portées par internet et ses virtualités que l’on doit maintenant regarder avec lucidité. En deçà des invectives intergénérationnelles « OKBoomer-esques », il nous faut dialoguer pour avancer avec le monde tel qu’il est dans sa complexité.

J’ai trouvé très instructive la contre-histoire d’Internet (XVe – XXIe siècle) intitulée L’utopie déchue proposée l’an dernier par Félix TREGUER (chercheur au CNRS et membre fondateur de La Quadrature du Net), comme un « droit d’inventaire » dans la série « à venir » de la collection « histoire de la pensée » aux Editions Fayard. Comme Marshall McLUHAN que je sollicite pour entrer dans le détail « tech » en réponse à la question suivante, Félix TREGUER tente de comprendre pourquoi les promesses n’ont pas été tenues en s’inscrivant dans le temps long des conflits qui émergent à chaque fois que de nouveaux moyens de communication sont inventés.

Parle-t-il directement de sobriété et d’identité ? Plus d’identité que de sobriété puisqu’il se place résolument sur un terrain politique, avec une analyse radicale très intéressante sur notre vivre ensemble devenu technologique, que l’on partage son point de vue ou pas (mon père m’a toujours dit : « tu peux raisonner juste sur un dessin faux, et t’as une gomme au bout du crayon de papier, non ? »).

Sobriété et identité numérique(s) sont deux notions qui sont intéressantes à appréhender ensemble !

La première (la sobriété) relève d’une construction sociale de valeurs communes pour mieux vivre ensemble, qui doit notamment intégrer une « matérialité » environnementale et technologique qu’il est difficile d’appréhender par le fait même que le numérique « fait écran ».

L’Ademe, l’agence nationale de la transition écologique, a entamé ces dernières années un très intéressant travail d’état des lieux sur le concept de sobriété, avec notamment deux rapports publiés fin 2019 : « panorama sur la notion de sobriété » et « penser la sobriété matérielle ». Avec des acteurs associatifs comme le collectif numérique responsable, ou encore l’association #sobériser (innover pour un monde sobre et durable), on comprend là encore que les actions à mener sont collectives, et passent avant tout par des valeurs qu’il faut ré-interroger ou changer !

Cette construction de valeurs présuppose une forme de prise de conscience de la deuxième notion (l’identité) elle aussi socialement construite, en particulier à travers les médias. Ces derniers mois, j’ai observé et accompagné mes filles adolescentes dans leurs premiers pas numériques, démultipliés par la distanciation physique confinée. Pour les amener à raisonner juste sur le dessin brouillon de leurs premières traces numériques, j’aime les taquiner en leur disant : « Dis-moi sur quelles plateformes tu soignes ton « qualified self », et combien de followers soignent ton « quantified self » ? Moi, je serai toujours là pour te « poucer » ! ».

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Au-delà du jeu de mot, le vrai problème tient à la complexification de la construction de soi au prisme des technologies naturalisées, exercice qui a toujours été difficile, et Jean-Jacques ROUSSEAU fut le premier à tenter de l’écrire…

L’‘identité numérique’ n’a rien d’une évidence, même pour les ‘digital natives’ et autres ‘millenials’. J’observe en même temps l’émergence préoccupante de cette ‘génération collapsonaute (naviguer par temps d’effondrements)’ saisie par Yves CITTON et Jacopo RASMI, et l’incroyable énergie positive des festivaliers geek. Le trait commun que j’en retiens est la croyance partagée dans le besoin impératif d’éducation populaire aux médias comparées pratiquée de manière participative, consciente ou inconsciente, comme un formidable laboratoire de construction collective.

En 2014, après avoir dirigé un ouvrage collectif faisant l’état des lieux sur L’économie de l’attention – nouvel horizon du capitalisme ?, Yves CITTON a rédigé un manifeste Pour une écologie de l’attention (à l’âge de son électrification) qui est très stimulant !  J’en retiens en particulier qu’il appelle (avec Katherine N. HAYLES) à une « attention technogénétique » dont la dynamique vient chapeauter toute l’éc(h)ologie de l’attention : « la matérialité des appareils qui conditionneront nos attentions de demain dépend de la façon dont nos attentions d’aujourd’hui sélectionneront certaines propriétés offertes par les appareils produits hier. »

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La virtualisation du BGF permet d’étendre le terrain d’exploration, et c’est important de prendre le temps de mettre cette quête en débat dans le Club Arthur Dent.

Plus globalement, notamment via le Club Arthur Dent, l’idée est d’échanger sur les impact tech ; pourquoi cette envie de mesurer l’impact énergétique du BGF Virtuel face à l’événement physique ?

Pour étayer mon choix de Gandalf, j’ai partagé mon admiration pour le « méthodologiste » créateur de mondes Alain DAMASIO. Pour continuer à « remonter la méthode », le point suivant est : qu’est-ce qui nourrit son imaginaire d’écrivain engagé ? Pour ce que j’en ai compris, il sort dans le monde ! Non pas le ‘grand monde’  mais le vrai grand monde, le sensoriel : comme un athlétisme émotionnel quotidien, il se ménage des « vacuoles de silence » (DELEUZE & GUATTARI) pour mieux être affecté, percevoir et concevoir. Il marche aux quatre vents, observe, écoute, sent, laisser résonner en lui l’énergie des êtres et du monde.

Engagé, en faveur du « Très humain, plutôt que transhumain », Alain DAMASIO lit aussi beaucoup, et notamment des penseurs explorateurs bricoleurs comme Gilles DELEUZE, Yves CITTON, ou encore Bernard STIEGLER pour ne citer qu’eux, qui travaillent, chacun à leur manière, à éveiller nos « subjectivités computationnelles et consciences appareillées » avec lucidité, cette « blessure la plus rapprochée du soleil » comme l’écrit le poète René Char dans ses Feuillets d’Hypnos.

Pour comprendre l’intrication entre les technologies et nos vies, sur laquelle nous pouvons agir, je vous invite à regarder cette récente conférence « Révolution et bifurcation » par Alain DAMASIO et Bernard STIEGLER. La virtualisation du BGF en réponse révoltée à l’impact de cette crise sanitaire sur l’économie et notre vie quotidienne, ne doit pas se faire sans prendre le temps d’une réflexion sur l’évolution des modalités d’organisation et de vie en société.

En écho aux appels de hauts responsables comme Marianne LAIGNEAU, présidente d’Enedis qui plaide avec conviction que « la relance verte doit placée au cœur de la relance économique », il me semble fondamental de partager en mode exploratoire pendant le GEEKFEST ce que signifie concrètement ce type d’appel pour une « relance verte » au prisme des technologies qui sont au cœur de nos vies, en commençant par essayer de quantifier et qualifier ce dont on parle !

Pour la « quantification » (cela doit être mon côté ingénieur) : je rejoins entre autres les approches engagées de Jean-Marc JANCOVICI et du think tank The Shift Project qu’il préside ! Pour la « qualification », outre l’ vous aurez compris que je complète avec d’autres « passeurs en heuristique(s) », comme Alain DAMASIO ou Yves CITTON évoqués à l’instant.

 

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Il me semble opportun de commencer à contribuer à mettre en perspective les « matérialités » de l’événementiel virtuel (au seuil duquel nous sommes) et de l’événement physique (du « monde d’avant »), sans succomber aux trop faciles dichotomies entre l’homme et la machine. Je dis « matérialités » pour m’émanciper du concept d’« externalités » forgé par et pour le confort de la discipline économique : il me semble que les matérialités permettent de mieux appréhender et caractériser la complexité de nos « réseaux de virtualités » dans leurs implications personnelles et environnementales, pour mieux les articuler avec nos responsabilités, collectives et individuelles.

La virtualisation est-elle pour toi l’avenir de l’événementiel dans son acception globale ?

La virtualisation sera pour moi une partie de l’avenir de l’événementiel, mais de là à imaginer qu’elle devienne totalisante, je ne crois pas. Pour moi, ce qui fait l’essence de l’événementiel, c’est la qualité de la rencontre entre les humains. Il faudrait que le « partage du sensible », cet enjeu croisé d’esthétique et de politique pour Jacques RANCIERE, se détache de notre sensibilité tellement humaine, et je n’ai pas envie d’y croire.

Pour illustrer la relation complexe malgré tout entre l’homme et le virtuel, afin d’éclairer partiellement la place que ce dernier va prendre dans l’événementiel, je m’en tirerai avec une pirouette en double clin d’œil poétique et littéraire :

  1. ta question me fait penser, par sa formulation, à ce vers d’Aragon, devenu une maxime magnifiquement paradoxale : « la femme est l’avenir de l’homme », et je proposé de la paraphraser pour reformuler ta question : « la virtualisation est-elle l’avenir de l’événementiel ? »
  2. cette référence croisée entre la femme, l’avenir (et le rapport au pouvoir dans l’esprit de l’homme avec un petit « h » : désir / domination) est très puissant dans les « imaginaires électriques », dès le 19e siècle. Je mets en perspective deux références clés dans le paysage culture « archéo-geek » français : Frankestein l’auteur féminin Mary SHELLEY nous emmène en 1818, avec Frankenstein ou le Prométhée moderne dans un imaginaire dystopique et en même temps fasciné par les progrès sur l’électricité, tandis qu’en 1886, l’auteur symboliste masculin VILLIERS DE L’ISLE ADAM fantasme dans L’Eve future sur la création d’une femme artificielle – par un dénommé Edison – qui évite les inconvénients des femmes réelles… Ces chefs d’œuvre font partie de cette culture « archéo-geek » que nous aurons plaisir à partager avec nos amis d’Hypermondes durant le festival.
le fou delsa

Les couvertures originales du Fou d’Elsa d’où est extrait le vers d’Aragon.

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Et plus largement, le virtuel va-t-il et doit-il s’inscrire dans les entreprises ?

C’est bien le deuxième élément de la « stratégie sherlock-holmésienne » établie avec toi pour créer le BGF Virtual Experience : il y a de moins en moins d’étanchéité entre les sphères professionnelles et personnelles lorsqu’on évolue sur des outils numériques, et c’est bien pour cela qu’il faut s’emparer de ces sujet non pour y répondre trop vite de manière définitive, mais bien pour prendre le temps de se questionner sur les différentes implications : opportunités et menaces, forces et faiblesses nous enseigne-t-on dans les bonnes écoles de commerce.

Nous avons déjà une communauté d’exploration des usages du virtuel au sein d’Enedis, et c’est bien avec elle comme avec vous, UNITEC et la chaire RESET que nous « documenterons » ce temps d’exploration partagée, au sein de l’entreprise et en inter-entreprises, y compris avec les collectivités puisque nous sommes tous parties prenantes. Le fait que la métropole de Bordeaux soit pionnière avec Enedis et la Chaire RESET à vos côtés pour l’organisation de cette renaissance est pour moi emblématique : comment réussir la « mise en société » du virtuel ? Ce n’est qu’ensemble, entre les acteurs culturels comme vous, des administrateurs de notre vie en commun comme la métropole, des acteurs académiques comme la Chaire RESET et des entreprises comme Enedis, que nous trouverons les bons compromis, tenant compte aussi de nouveaux enjeux de cybersécurité, de respect de la vie privée, qui rejoignent les très vieux enjeux du mieux vivre ensemble !

Une référence geek à partager ?

Ma référence geek est assurément l’écrivain Italo CALVINO (1923 – 1985), dont l’œuvre est pour moi immense, par sa générosité pour la culture populaire, sa curiosité sans limite et son intelligence clairvoyante. Roland Barthes a écrit de lui : « Dans l’art de Calvino et dans ce qui transparaît de l’homme en ce qu’il écrit, il y a – employons le mot ancien, c’est un mot du XVIIIe siècle – une sensibilité. On pourrait dire aussi une humanité, je dirais presque une bonté, si le mot n’était pas trop lourd à porter : c’est-à-dire qu’il y a, à tout instant, dans les notations, une ironie qui n’est jamais blessante, jamais agressive, une distance, un sourire, une sympathie. »

Auteur d’œuvres fantastiques (par exemple Les villes invisibles), membre de l’OuLiPo, il fut aussi un généreux passeur et pédagogue sur les littératures, les contes, les liens entre cybernétique, fantasmes et contes merveilleux… En alternance avec ses hilarants contes comme le Baron perché, il faut lire ses textes et lectures critiques « Défis aux labyrinthes » pour mieux comprendre notre monde tel qu’il va…

 

cyrille-livres

 

Il me semble essentiel de partager ici les titres de ses « leçons américaines – six propositions pour le prochain millénaire » qu’il écrivit entre 1984 et 1985, et dont la 6e ne nous sera jamais connue (comme la question dont la réponse est 42) puisque son auteur est mort avant de l’avoir fixée… nous laissant orphelins interprètes : ‘légèreté’, ‘rapidité’, ‘exactitude’, ‘visibilité’, ‘multiplicité’, et ‘commencer et finir’ (‘consistance’). Des conférences consacrées à « quelques valeurs ou qualités ou spécificités littéraires qui me tiennent particulièrement à cœur, en m’efforçant de les situer dans la perspective du millénaire qui s’annonce », et dont les mots-titres résonnent directement dans notre monde numérique !

Nous y sommes, au seuil de ce festival de premier festival de pop culture 100% virtuel en Europe : gardons à l’esprit sa formule de maître du paradoxe : « les fables sont vraies ». Je parlerai le 27 juin au Club Arthur Dent by Enedis durant mon intervention sur l’écologie de l’attention.

six memos

L’original de la main de Calvino.

l'auberge espagnole

Un adage ?

FESTINA LENTE, un adage latin qui signifie « hâte toi lentement », fort heureusement sanctuarisé par Erasme qui en donne des explications très opératoires encore aujourd’hui. ERASMUS, immense humaniste, est devenu aussi un nom de programme européen étudiant sympa, popularisé par Cédric Klapisch dans le film L’auberge espagnole sorti en 2002 (on est encore dans les imaginaires des années 90).

A mon niveau, je milite pour qu’il soit lu, dans les magnifiques éditions des Belles Lettres, publiées depuis 2011, à l’occasion des 500 ans de leur écriture en 2011 ! J’en profite pour saluer ici l’extraordinaire travail mené par l’équipe de latinistes et hellénistes coordonné par Jean-Christophe Saladin pour cette traduction exhaustive des Adages d’Erasme aux Editions des Belles Lettres.

les adages

On te voit les 27 et 28 juin sur l’île de la tentation geek ?

Bien entendu ! Je serai équipé de la boussole attentionnelle de Dominique BOULLIER,

schema-incertitude-attachements-detachement-certitudes

Je viendrai  exercer différents niveaux d’attention dans le millefeuille attentionnel, comme l’analyse Yves CITTON dans son manifeste Pour une écologie de l’attention :

Le millefeuille attentionnel d’Yves CITTON

Le millefeuille attentionnel d’Yves CITTON.

 

(1) avec une ‘attention réfléchie et présentielle’, je commencerai par l’immersion dans cette île virtuelle pour prendre mes marques comme tous les festivaliers ; ces modes attentionnels réfléchi et présentiel irrigueront toute ma présence.

(2) avec une ‘attention conjointe’, je poursuivrai par la projection de quelques idées partagées dans cette interview dans des conférences discutées avec nos jeunes chercheurs de la chaire RESET, non seulement dans la salle du Club Arthur Dent mais aussi dans la salle que la chaire RESET et la dynamique Hypermondes partageront avec l’Université Bordeaux Montaigne ;

(3) enfin, en partageant l’‘attention collective’, j’espère retrouver la fidélisation qui caractérisait le festival dans sa version physique, avec cette incroyable énergie participative des festivaliers ; mon attention interprétative se laissera porter avecexplorer comme tous les festivaliers.

Grâce à la boussole de Dominique BOULLIER, je m’attacherai aussi à ne pas passer en zone d’alerte ! Il y a un temps pour tout, et cela m’amusera de suivre la 6e maxime d’écosophie attentionnelle proposée par Yves CITTON – « plutôt qu’à vouloir s’émanciper, apprendre à choisir ses aliénations » : l’apprentissage aura commencé avec l’avatar, et se poursuivra par une distraction émancipatrice suivie avec une ‘attention flottante’ pour découvrir l’incroyable programmation du festival et gagner au jackpot de la plus-value inter-attentionnelle, et atteindre les confins virtuellement déconfinés de l’‘attention comme unisson’.

 

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